Choguel Maïga : « Notre gouvernement a compris que s’il ne compte que sur un seul partenaire, il pourra à tout moment être abandonné »
Le Monde – 19 octobre 2021 à 16h38
Crise diplomatique avec la France, départ de « Barkhane », politique intérieure : à Bamako, le premier ministre de la transition du Mali a répondu aux questions du « Monde » dans un entretien accordé le 16 octobre à Bamako, où il revient sur les défis qui jalonnent aujourd’hui une transition fragile.
Propos recueillis par Morgane Le Cam (Bamako, envoyée spéciale)
LeMonde: Ces dernières semaines ont été tendues entre vous et le président Emmanuel Macron. Souhaitez-vous le divorce ?
Choguel Kokalla Maïga: Il peut y avoir des scènes de ménage mais je ne crois pas beaucoup au divorce. Malgré tout ce qui se dit, je ne crois pas qu’une rupture des liens militaires avec la France soit pour demain.
Foto (c) NICOLAS REMENE/LE MONDE : Le premier ministre de la République du Mali, Choguel Maïga, dans un salon de sa résidence officielle, à Bamako, le 16 octobre 2021 – Der malische Premierminister Choguel Maïga in seiner Residenz in Bamako, am 16.10.2021
Sur le plan politique, économique et sécuritaire, trop de choses lient le Mali et la France pour qu’une équipe [celle d’Emmanuel Macron] en précampagne [électorale], sur un coup de tête ou une saute d’humeur, vienne tout remettre en cause. Nous avons décidé de n’insulter ni le passé ni le présent, encore moins l’avenir. Il nous reste encore beaucoup de choses à faire ensemble.
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Dans un entretien accordé à l’agence russe RIA Novosti le 8 octobre, vous avez accusé la France d’avoir entraîné des groupes armés dans le nord du Mali après le déclenchement de l’opération « Serval » en 2013. Suggérez-vous qu’elle fait preuve de duplicité au Mali en matière de lutte antiterroriste ?
Quand le gouvernement malien a demandé une intervention française en 2013, l’objectif était de détruire le terrorisme et d’aider l’Etat malien à se réinstaller sur l’intégralité de son territoire. Mais une fois arrivée à Kidal (bastion des rébellions touareg), l’armée française a empêché notre Etat de reprendre la ville. Je n’accuse pas, je donne des faits. A chacun d’en tirer ses conclusions. Les faits sont que le Mali a demandé à la France de l’aider à détruire le terrorisme et à recouvrir l’intégralité de son territoire. Près de neuf ans après, que constatons-nous ? Le terrorisme qui était confiné à Kidal s’est étendu à 80 % de notre territoire. Cela conduit les Maliens à penser qu’il y a un complot international contre notre pays.
Souhaitez-vous que les forces françaises quittent votre pays ?
Nous n’avons jamais dit cela. Nous n’avons jamais rompu l’accord bilatéral de défense qui nous lie à la France. Au contraire, c’est la France qui veut le remettre en cause. En juin dernier, on s’est réveillé un matin en entendant dans les médias que la France suspendait ses opérations militaires avec l’armée malienne, sans nous prévenir ni nous donner d’explication, tout ça parce qu’un nouveau gouvernement qui ne leur convenait pas avait été mis en place (suite au second coup d’Etat du 24 mai). Un mois plus tard, au sommet du G5 Sahel, Emmanuel Macron est venu nous annoncer que « Barkhane » allait se retirer.
La France assure pourtant que cela a été discuté avec tous les chefs d’Etat du G5 Sahel, dès février, en marge du sommet de N’Djamena…
Il n’y a pas eu de discussion. Emmanuel Macron l’a annoncé, tout de go. Le président de la transition (le colonel Assimi Goïta) l’avait pourtant dit à Emmanuel Macron : « Ce que vous voulez faire, c’est un abandon, en termes militaires. Asseyons-nous et dites-nous quand vous voulez partir, pour qu’on se prépare à prendre progressivement les emprises que vous allez laisser. Lorsqu’on sera prêts, vous pourrez partir. » Au lieu de ça, nous avons été abandonnés. Depuis, notre gouvernement a bien compris que s’il ne compte que sur un seul partenaire, il pourra à tout moment être abandonné. Nous en cherchons d’autres.
Y a-t-il eu des discussions menées avec la milice privée russe Wagner ?
Ce sont les médias français qui en parlent. Moi, je ne connais pas de Wagner. Ce sont des rumeurs, à ce stade-là. Le jour où nous conclurons des accords avec quelque pays que ce soit, nous les rendrons publics. En attendant, qu’on ne nous fasse pas de procès d’intention !
Votre gouvernement entretient le flou autour de la question. Ne craignez-vous pas de vous aliéner les autres partenaires internationaux et d’aller à l’isolement ?
Ce sont des menaces qui, aujourd’hui, sont sans objet, parce que nous n’avons pas signé d’accord avec qui que ce soit. Il n’y a pas de flou ! Ce que nous avons, c’est un accord avec l’Etat russe (conclu en juin 2019). Dans ce cadre, nous achetons des équipements militaires – on en a reçu récemment –, et nous demandons à des instructeurs russes de former nos militaires. Nous sommes en discussion avec l’Etat russe, nous ne le cachons pas. Nous cherchons tous les moyens et le concours de tous les Etats qui pourraient nous aider à sécuriser notre peuple.
L’Algérie pourrait-elle renforcer son rôle en matière de lutte contre le terrorisme au Mali ?
Notre Etat le souhaite. L’insécurité sévit le long de notre zone frontalière. Si l’Algérie s’impliquait de façon forte dans la lutte contre le terrorisme, ce que nous espérons, ce serait un grand plus.
Pourrait-on envisager le déploiement de soldats algériens au nord du Mali ?
La Constitution algérienne, qui a récemment été révisée, le permet désormais. Ce sont aux Algériens de le décider.
Vous n’avez jamais caché votre opposition à certains termes de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre l’Etat malien et les ex-groupes rebelles du Nord. En renégociant cet accord, ne craignez-vous pas que ces groupes ressortent les armes?
Je ne suis pas contre l’accord. je dis simplement qu’il faut l’appliquer de façon intelligente. ce texte a été signé sous la pression et certains articles créent les conditions de l’émergence de nouvelles rébellions. Il faut les rediscuter. Quant à ceux qui ont pris les armes en 2012, ils n’ont jamais été désarmés. Ils défilent chaque année avec des armes lourdes lors de la fête de l’indépendance de leur fantomatique république de l’Azawad.
« Barkhane » est en train de se retirer progressivement de ses emprises du Nord (Kidal, Tombouctou et Tessalit) pour se recentrer sur le Liptako Gourma, à l’est. Comment comptez-vous faire pour assurer la sécurité du Nord, une fois les Français partis ?
On s’interroge. La France a décidé de se concentrer sur le Liptako, où l’EIGS (Etat islamique au Grand Sahara) est le plus actif. Or, le groupe le plus dangereux pour l’Etat malien, c’est le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). Pendant qu’Al-Qaida multiplie ses attaques, notre principal allié, en tout cas celui que nous croyions l’être, décide de quitter sa zone d’influence pour se concentrer sur les trois frontières. N’est-ce pas de l’abandon en plein vol ? Nous sommes en train de chercher des solutions.
Avez-vous fait une croix sur l’organisation des élections le 27 février 2022, comme prévu dans le calendrier initial ?
Cette date a été fixée à partir de positions de principe : dix-huit mois, pas plus. Mais la politique, c’est le réalisme. Il faut prendre en compte les exigences du peuple, comprendre ce qui l’a amené à se soulever contre le régime d’« IBK ». Le coup d’Etat du 18 août 2020 n’était pas un putsch classique. Les militaires ne sont pas sortis de leur caserne pour prendre le pouvoir : ils sont intervenus pour parachever la lutte d’un peuple qui s’est soulevé contre un régime gangrené par la corruption. Il faut trouver un début de solution à leurs revendications, mettre en place des réformes institutionnelles et politiques solides. Nous devons aussi faire en sorte de ne plus avoir des élections contestées qui pourraient aboutir à un nouveau soulèvement ou coup d’Etat.
Combien de temps faudrait-il ?
Nous exposerons les délais lors des Assises nationales de la refondation qui se tiendront en novembre, au plus tard en décembre. Ensuite, le gouvernement présentera à ses partenaires un calendrier réaliste et accepté par les Maliens. Quelques semaines ou quelques mois de décalage (pour les élections), ce n’est pas la fin du monde pour un pays en crise depuis dix ans.
La Cédéao a prévenu que des sanctions seraient prises contre le Mali si la date du 27 février n’était pas respectée. Qu’en pensez-vous ?
Les sanctions ne sont pas la solution. Si la Cédéao ne tient pas compte des raisons qui ont conduit à la chute du régime et décide de punir une nation dont l’Etat s’est retrouvé à terre par la faute de ses dirigeants, je pense que cela sera contre-productif.
N’êtes-vous pas en train de jouer sur une fibre nationaliste contre l’étranger, avec tous les risques que cela représente ?
Nous ne jouons pas de carte nationaliste mais celle de la responsabilité : être capable de dire à nos amis qu’il n’est pas possible de faire ce qu’ils veulent qu’on fasse (organiser des élections) pendant la période initialement fixée. S’ils nous y forcent en créant une crise financière et les conditions d’un changement de régime, l’objectif stratégique qui était de stabiliser le Mali sera complètement mis de côté. Notre souhait est de transférer le pouvoir à un gouvernement élu, mais il faut négocier avec la communauté internationale un délai raisonnable, pragmatique, pour tenir les élections.
Le journaliste français Olivier Dubois est toujours otage du GSIM. Des négociations sont-elles ouvertes pour le libérer ?
Nous sommes dans des discussions, sans pouvoir en dire plus.
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Choguel Maïga: „Unsere Regierung hat verstanden, dass sie, wenn sie sich nur auf einen Partner verlässt, jederzeit im Stich gelassen werden kann“
Le Monde – 19.10.2021 16:38
Diplomatische Krise mit Frankreich, Rückzug von „Barkhane“, Innenpolitik: In Bamako beantwortete der malische Interims-Premierminister die Fragen von „Le Monde“ in einem Interview am 16. Oktober in Bamako, wo er die Herausforderungen anspricht, die derzeit einen fragilen Übergang markieren.
Interview mit der Sonderkorrespondentin Morgane Le Cam (Bamako)
LeMonde: In den letzten Wochen gab es Spannungen zwischen Ihnen und Präsident Emmanuel Macron. Wollen Sie die Scheidung?
Choguel Kokalla Maïga: Es mag zwar Ehestreit geben, aber ich halte nicht viel von Scheidungen. Trotz allem, was gesagt wird, glaube ich nicht, dass ein Abbruch der militärischen Beziehungen zu Frankreich schon morgen ansteht. Politisch, wirtschaftlich und sicherheitspolitisch sind Mali und Frankreich zu sehr miteinander verbunden, als dass eine Mannschaft [die von Emmanuel Macron] im Vorwahlkampf aus einer Laune heraus oder aus einem Stimmungsumschwung heraus alles in Frage stellen könnte. Wir haben beschlossen, weder die Vergangenheit noch die Gegenwart, geschweige denn die Zukunft zu tadeln. Uns bleibt noch eine Menge gemeinsam zu tun.
In einem Interview mit der russischen Agentur RIA Novosti am 8. Oktober warfen Sie Frankreich vor, nach dem Start der Operation Serval im Jahr 2013 bewaffnete Gruppen im Norden Malis ausgebildet zu haben. Wollen Sie damit andeuten, dass Frankreich in Mali im Kampf gegen den Terrorismus doppelzüngig ist?
Als die malische Regierung 2013 um eine französische Intervention bat, bestand das Ziel darin, den Terrorismus zu bekämpfen und dem malischen Staat zu helfen, auf seinem gesamten Staatsgebiet wieder Fuß zu fassen. Doch als sie in Kidal (einer Hochburg der Tuareg-Rebellen) ankamen, verhinderte die französische Armee, dass unser Staat die Stadt wieder einnehmen konnte. Ich klage nicht an, ich nenne nur Fakten. Es ist jedem selbst überlassen, seine eigenen Schlussfolgerungen zu ziehen. Tatsache ist, dass Mali Frankreich gebeten hat, ihm bei der Bekämpfung des Terrorismus und der Rückgewinnung seines gesamten Territoriums zu helfen. Was sehen wir nun, fast neun Jahre später? Der Terrorismus, der auf Kidal beschränkt war, hat sich auf 80 % unseres Territoriums ausgebreitet. Dies führt dazu, dass die Malier glauben, es gäbe eine internationale Verschwörung gegen unser Land.
Möchten Sie, dass die französischen Streitkräfte Ihr Land verlassen?
Das haben wir nie gesagt. Wir haben das bilaterale Verteidigungsabkommen, das uns mit Frankreich verbindet, nie gebrochen. Im Gegenteil, es ist Frankreich, das es in Frage stellen will. Im vergangenen Juni wachten wir eines Morgens auf und erfuhren aus den Medien, dass Frankreich seine Militäroperationen mit der malischen Armee ohne Vorwarnung und ohne jegliche Erklärung einstellte, weil eine neue Regierung eingesetzt worden war, die ihm nicht passte (nach dem zweiten Staatsstreich vom 24. Mai). Einen Monat später kam Emmanuel Macron zum G5-Sahel-Gipfel, um uns zu verkünden, dass „Barkhane“ sich zurückziehen werde.
Frankreich versichert jedoch, dass dies bereits im Februar am Rande des Gipfels von N’Djamena mit allen Staatschefs der G5-Sahel-Staaten erörtert wurde…
Es gab keine Diskussion.
(Fortsetzung folgt)